Leçons apprises après 10 ans de campagnes pour la justice climatique

Développer des campagnes de communication en vue d’impacter les opinions et les comportements est certainement le travail le plus passionnant qui soit ! Et à l’heure où les campagnes en faveur des droits humains sont, sur nos écrans, en concurrence avec de mignons chats, c’est aussi plus compliqué…

Après plus de 10 ans de coordination de projets et de campagnes publiques visant à influencer l’opinion publique et les décideurs en Europe, voici les 7 plus grandes leçons que j’ai apprises.

#1 – Le défi à résoudre s’inscrit dans un système

Une fois que nous avons identifié un problème, savoir comment l’aborder n’est pas toujours une chose aisée. En effet, les causes profondes du problème peuvent être moins évidentes que ses conséquences. De même agir uniquement sur les effets peut être compliqué, voire parfois contre-productif.

La cartographie de système (ou « système mapping » en anglais) est un outil visuel extrêmement riche, utilisé pour représenter et comprendre les éléments, les relations et les dynamiques d’un système complexe. Elle permet de clarifier comment différentes parties d’un système interagissent. En cartographiant les parties prenantes et le processus qui les lient, elle permet d’identifier de « boucles de rétroaction », des cycles de renforcement ou d’équilibrage (voici, par exemple, une carte sur les facteurs influençant la qualité de vie à Hawaï).

Le « dénouement » de la complexité permet d’identifier les obstacles ou les nœuds critiques qui freinent les changements et de repérer les points où des interventions ciblées peuvent produire des effets significatifs.

Aujourd’hui, des outils gratuits comme Kumu ou Miro permettent de réaliser des cartographies avec ses équipes ou les parties prenantes d’un projet.

#2 – Choisir à qui nous parlons

Nous ne pouvons ni parler à personne, ni parler à tout le monde (à moins d’avoir un budget marketing à 7 chiffres…). Les changements que nous souhaitons voir arriver implique nécessairement de stimuler des idées et les comportements d’autres personnes.

Dans certains cas, ce que l’on appelle notre « public cible » peut sembler évident (ex. les utilisateurs d’un service spécifique). Dans d’autres cas, nous allons avoir besoin de parler à des groupes différents, à différents moments, pour produire le changement voulu. La tentation est forte de vouloir convaincre « l’autre » à partir de notre propre point de vue ; à partir de nos croyances, de nos connaissances et de nos valeurs (ex. « meat is murder ! »). Il est facile d’oublier que nos idées ne sont que la résultante de nos expériences et qu’il existe une multitude de prismes par lesquelles les individus perçoivent le monde. Comprendre les gens à qui nous souhaitons nous adresser, leur réalité quotidienne, leur vécu, leurs valeurs, leurs opinions, leurs comportements, comprendre ce qui les motive et ce qui les retient, est absolument fondamental si nous souhaitons les impliquer dans nos projets.

Il existe aujourd’hui une multitude de techniques qui permettent de comprendre nos publics cibles. Certaines nécessitent un engagement budgétaire certain, d’autres sont beaucoup plus accessibles qu’il n’y paraît. Aujourd’hui toutes les organisations ont la capacité de mener, à leur échelle, des recherches utiles sur leurs audiences clés.

#3 – Testons nos idées, avant de viser la perfection

De notre culture, nous avons encore un rapport très négatif à l’échec. Les personnes qui échouent se retrouvent mises au banc des « perdants », subissent souvent le poids de la honte, d’une perte d’auto-estime, voire de statut social. Nous avons donc une tendance naturelle à vouloir éviter les échecs à tout prix (ou à bien les cacher).

Cela nous conduit souvent à élaborer des stratégies de manière perfectionniste. Dès le départ nous souhaitons souvent envisager tous les scénarios possibles, identifier toutes les solutions et tous les risques et disposer d’un plan à toute épreuve, avant même d’avoir commencé.

Cette manière de procéder a un coût. D’une part, le temps investi pour l’élaborer est souvent très important. D’autre part, elle nous enferme dans une forme de rigidité qui nous empêchent de nous adapter. Parfois même pire : nos biais d’engagement et de confirmation nous poussent souvent à vouloir à tout prix mettre en œuvre une décision déjà prise, même si elle s’avère ne pas vraiment fonctionner en pratique.

Et pourtant, les designers utilisent depuis longtemps une solution : les prototypes. Il s’agit de partir du défi, d’élaborer des hypothèses, et de rapidement mettre au point des prototypes de solutions qui peuvent être testés concrètement, sur le terrain. En analysant la performance de ces prototypes et en les améliorant de manière continue, nous pouvons arriver à une solution optimale assez rapidement, en connaissance de cause. Les projets et les campagnes publiques peuvent être testés de la même manière en recourant à l’élaboration d’hypothèses et de prototypes, avant de dépenser l’ensemble de son budget dans une seule idée, aussi bonne qu’elle puisse paraître sur le papier.

#4 – Nos valeurs comptent, nos opinions moins

Nous avons toutes et tous nos opinions sur une multitude de sujets. Certaines d’entre elles s’adaptent facilement. D’autres sont beaucoup plus rigides. Nous nous accrochons parfois à certaines de ces opinions comme à des fragments de notre identité. La bataille des opinions est souvent âpre et rude. C’est généralement un jeu à somme nulle, dans lequel il n’y a qu’un seul gagnant. Dans nos tentatives de convaincre l’autre à partir de nos opinions, nous pouvons aussi – sans nous en rendre compte – générer des barrières et des résistances qui compliquent les discussions, voire renforcent les opinions opposées.

En élaborant notre discours autour de nos valeurs, nous remettons en avant ce qui est vraiment important pour nous, ce qui nous définit, ce pourquoi nous nous battons. Les valeurs peuvent être des points de rencontre plus profond, au-delà des opinions qui en apparence paraissent contradictoires. Rêver un monde plus « soutenable », c’est aussi construire une vision fondée sur des valeurs et être capable de les transmettre clairement dans son discours.

La théorie de linguistique cognitive du « framing » est une manière d’élaborer la communication autour de ses valeurs.

Pour plus d’informations sur le framing consultez notre page « L’instant Lakoff ».

#5 -Surfer les vagues plutôt que de ramer fort

L’émergence d’internet et des réseaux sociaux a conduit à une fragmentation des canaux et des audiences. Générer le buzz ou devenir « viral » est de plus en plus compliqué. Dans cette lutte pour l’attention où les militants pour les droits de l’homme sont en concurrence avec les recettes de cuisine et des animaux rigolos, générer l’intérêt du public pour un sujet dans lequel nous croyons est devenu très compliqué, même en faisant la « une » d’un grand quotidien.

Identifier et comprendre les tendances à l’œuvre nous permet de surfer sur les vagues et utiliser leur énergie plutôt que d’essayer de créer cette vague nous-même. La réalisation de mèmes – des déclinaisons souvent parodiques d’un post – en est un bel exemple. Les outils de « social media listening » offrent aujourd’hui de nombreuses options pour découvrir ce qui se passe réellement sur les « feeds » des autres, au-delà de notre bulle de contact.

#6 -Les émotions comptent (autant que l’information)

Dans notre culture occidentale européenne, nous avons dissocié le corps de l’esprit. Les manifestations des émotions, perçues dans le corps, sont considérées comme des signes d’irrationalité, ou pire, d’immaturité.  Nous pensons qu’elles doivent être dépassées grâce à la réflexion logique, technique, froide et désincarnée. Nous sommes dès lors convaincus qu’essayer de convaincre est une tâche rationnelle, qui doit faire appel à la logique de l’intellect. Nous pensons souvent que la vérité nous libérera, que les faits scientifiques – lorsqu’ils sont connus et compris – suffisent pour modifier nos opinions et nos comportements.

En réalité, les recherches ont mis en évidence que les opinions et les comportements sont souvent des conséquences de nos émotions. Ils sont des manières de réinterpréter et de donner du sens à nos émotions. Comprendre ces processus émotionnels et la manière dont notre discours véhicule des émotions est fondamental si nous voulons vraiment impacter les esprits et toucher les cœurs.

#7 – Donner à chacun.e une place dans le changement

Face aux défis du monde contemporain et à l’urgence de changer les choses, de nombreux militants plaident pour davantage de radicalité, tant dans les demandes que dans les méthodes. Oui, faire bouger ce qui est accepté dans une culture, à un moment donné (la fenêtre d’Overton) nécessite parfois de pousser ses demandes dans de nouvelles zones, d’explorer de nouvelles limites. Les soucis apparaissent lorsque les pionniers restent seuls. La force des « pionniers culturels » est de montrer au reste de la société que des alternatives sont possibles et bénéfiques.

Mais pour que le reste de la société suive, elle doit avoir la conviction que ces changements lui seront profitables et qu’elle a, elle aussi, un rôle à jouer. En anglais, on parle de « agency », de capacité à agir. Les campagnes et projets que nous menons doivent permettre d’augmenter cette capacité à agir d’un plus grand nombre. Sans elle, nous nous réfugions souvent dans la fuite et le déni. Ainsi, les messages alarmistes qui doivent nous pousser à agir plus vite nous figent parfois au contraire dans un plus grand immobilisme. Construire des ponts et donner à chacun.e sa place dans le changement est la plus grande urgence.

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Allons boire un café 😉

Sébastien

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